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En 1966, à 23 ans, Bobbi Gibb entre dans l’histoire en défiant, au Marathon de Boston, l’interdiction faite aux femmes de courir des longues distances. Elle boucle les 42,195 km en «clandestine», sans dossard.

FLASHBACK

La nouvelle exposition temporaire gratuite «Free to Run: En route pour le Marathon de Paris 2024» retrace la révolution de la course à pied, longtemps mal vue et, surtout, longtemps interdite aux femmes.

Un monde où courir dans les rues serait jugé dégradant, où le jogging ne serait pratiqué que par les champions dans les stades et où le marathon serait, de plus, strictement interdit aux femmes: inconcevable aujourd’hui. Et pourtant, ce monde a longtemps existé. Jusqu’à ce que la révolution running ne déferle sur la planète, il y a près de cinquante ans.


C’est cette histoire incroyable que le public est invité à découvrir à travers la nouvelle expérience audio immersive du Musée Olympique, «Free to Run [libres de courir] : En route pour le Marathon de Paris 2024». Cette exposition gratuite retrace l’épopée passionnante de la course à pied et, plus spécifiquement, du marathon, depuis sa première apparition aux JO de 1896. Elle coïncide par ailleurs avec les 30 ans du Lausanne Marathon auquel le musée consacre en parallèle une exposition pop-up.


«Free to Run» se termine aux Jeux de Paris où 20’024 coureurs populaires s’élanceront sur le parcours emprunté peu avant par les olympiens: «Le Marathon pour Tous sera comme un pied de nez à l’histoire. Pendant des décennies, les marathoniens n’étaient en effet pas considérés par la grande famille de l’athlétisme. Ils étaient appelés les «cols bleus» ou «les besogneux», car souvent issus des classes populaires, rappelle Rachel Caloz, responsable de cette exposition au Musée Olympique. Quel bel hommage rendu à ces athlètes que de permettre pour la première fois à des amateurs de courir sur le tracé olympique.»

20m

La longue marche pour avoir le droit de courir

Par Trinidad Barleycorn

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Découvrez des histoires inspirantes

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«On nous répétait que notre utérus allait tomber»

Tout au long de «Free to Run» objets, photographies, parcours audio immersif et courts documentaires signés du réalisateur, historien du sport et commissaire de l’exposition Pierre Morath, saisissent avec brio l’émotion et les enjeux qui ont jalonné cette révolution. «Ce qui m’a intéressé, ce sont les passerelles que l’on peut faire entre la société au sens large et la société sportive parce que le monde, en particulier occidental, a connu dans les années 1960-1970 un bouleversement des mentalités, et le sport en a été le miroir», explique Pierre Morath, qui avait réalisé en 2016 le film du même titre «Free to Run», distribué dans une vingtaine de pays. Au Musée Olympique, comme sur grand écran, le spécialiste a mis en vedette le combat mené par les femmes pour avoir le droit de courir: «Elles ont longtemps été interdites de courses de fond, pour raisons prétendument médicales, qui, en fait, cachaient des raisons patriarcales. On ne voulait pas que la femme sorte du foyer, de son rôle de mère et d’épouse. La médecine sportive, balbutiante à l’époque, cautionnait ces préjugés. »


En 1966, c’est en clandestine que la pionnière Bobbi Gibb prend part au Marathon de Boston, l’une des seules épreuves du genre en dehors des JO. L’Américaine boucle les 42,195 km devant les deux tiers des coureurs. «Quand j’ai tenté de m’inscrire, on m’a répondu que je n’étais physiologiquement pas capable de participer, déplorait-elle, via visioconférence, lors d’une table ronde organisée en mai pour le vernissage. Nous n’avions alors pas le droit de courir plus de 1500 m en compétition. On nous répétait que trop courir ferait tomber notre utérus, qu’on aurait de vilaines jambes et qu’on ne plairait plus aux hommes! »

Le bermuda et le maillot de bain une pièce qu’elle portait ce jour-là ont été prêtés pour l’exposition par la Boston Athletic Association.

Huitante-huit ans d’attente pour aller aux JO

En 1967, l’Américaine Kathrine Switzer court aussi Boston. Elle est parvenue à s’inscrire sous le nom de K. Switzer. Mais après quelques kilomètres, l’organisateur scandalisé par sa présence tente de lui arracher son dossard, le numéro 261. «C’est ce moment qui m’a donné envie de me battre et qui m’a rendue intrépide», a-t-elle lors du vernissage. Courir, elle en fera alors le combat de sa vie, participant à la création des premiers marathons féminins, militant avec d’autres femmes pour l’entrée du marathon féminin aux JO et créant l’association 261 Fearless.


En Suisse, la situation n’est guère plus enviable: en 1972, alors que le Marathon de Boston vient enfin d’accepter officiellement les coureuses, Kathrine Switzer doit participer en clandestine à Morat-Fribourg. Il faut attendre les JO de 1984 à Los Angeles pour que les femmes puissent courir, huitante-huit ans après les hommes, leur premier marathon olympique. L’image de la Suissesse Gabriela Andersen-Schiess réalisant le dernier tour de stade en titubant, avant de s’écrouler après la ligne d’arrivée, fait alors le tour du monde. Loin de raviver les préjugés sur la prétendue incapacité des femmes à courir une si longue distance, son courage, salué unanimement, les fait enfin taire.

Parcours audio immersif, films, photographies et nombreux artefacts: la nouvelle exposition gratuite du Musée Olympique retrace richement l’histoire de la course à pied.

Grandes figures masculines aussi

Si elle fait la place belle aux marathoniennes, «Free to Run» n’en oublie pas pour autant les figures masculines de la révolution running. On s’attarde notamment sur la destinée bouleversante de l’Éthiopien Abebe Bikila, double champion olympique, qui remporte son premier titre pieds nus aux Jeux de 1960 à Rome et offre à cette épreuve sa première médaille est-africaine.


On découvre également comment la course populaire prend un nouvel essor aux États-Unis après que Frank Shorter casse, devant des millions de téléspectateurs, l’image de martyr qui collait aux baskets des marathoniens: «Il franchit la ligne d’arrivée des JO de 1972 à Munich, l’air à peine éprouvé, rendant la distance psychologiquement accessible à tous. C’est également un étudiant en droit. De quoi mettre un terme à l’image des «cols bleus», détaille Rachel Caloz.


Simultanément, la notion de courir pour le plaisir fait son apparition. En 1976, le Marathon de New York sort de Central Park, où il était relégué, et envahit les rues dans la liesse. Sonnant ainsi le coup de départ d’une tendance qui va peu à peu conquérir les trottoirs, les sentiers et les parcs du monde entier.


«Free to Run: En route pour le Marathon de Paris 2024», jusqu’au 3 mars 2024. En français, anglais et allemand. Entrée libre.

Le champion olympique kényan Eliud Kipchoge a offert ses baskets de Rio 2016 et celles portées à Tokyo en 2021 lorsqu’il avait ramené le record du monde du marathon à 2 h 1’ 9’’.

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Georges-André Carrel, président des Amis du Musée Olympique

«La grande force du musée, c’est qu’il se réactualise régulièrement. Il est en mouvement, évolue et s’ouvre à la jeunesse, aux sports urbains. L’Association des amis du musée, qui sert de trait d’union entre le monde olympique et les milieux sportif, culturel, politique et économique du canton de Vaud, se tourne aussi vers la jeunesse. C’est important pour en assurer la continuité.»

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© Musée Olympique – CIO